Les causes de la guerre de Sécession  1 et 2

Publié le par Bernard Gasnot

Il y a 150 ans de cela, les États-Unis d’Amérique étaient plongés dans la pire guerre de leur histoire. Avec un minimum de 625.000 morts en quatre ans, un chiffre que certains auteurs portent volontiers jusqu’à 850.000, les États-Unis y auront perdu davantage de vies humaines que dans tous les autres conflits réunis de leur courte et pourtant très guerrière histoire - en incluant les deux guerres mondiales. La guerre de Sécession, livrée entre 1861 et 1865, laissera un pays réunifié mais exsangue, profondément transformé, et peut-être, en fin de compte, encore plus divisé qu’il ne l’était lorsque le conflit avait commencé.

Une guerre aux conséquences durables L’impact de ces quatre années sanglantes dépasse d’ailleurs largement les seuls États-Unis. De toutes les guerres civiles de la période contemporaine, la guerre de Sécession ne fut certes pas la plus meurtrière, ce triste privilège revenant à la révolte des Taiping en Chine, qui se déroula par ailleurs à la même époque (1850-1864). Toutefois, alors que la majorité des victimes de cette dernière furent civiles, la plupart des morts de la guerre de Sécession furent des militaires. Ceci n’enlève rien à l’intensité des haines ayant opposé le Nord au Sud. Cette lutte à mort entre deux nations qui n’en faisaient jusque-là qu’une seule fut d’abord une guerre idéologique, et son nom anglais –American Civil War – lui rend une dimension fratricideque la traduction française édulcore largement.

On écrit souvent que la guerre de Sécession fut livrée pour ou contre l’esclavage. C’est vrai, mais c’est là une présentation extrêmement simplifiée de ses causes réelles. Ces dernières

L’impact de ces quatre années sanglantes dépasse d’ailleurs largement les seuls États-Unis. De toutes les guerres civiles de la période contemporaine, la guerre de Sécession ne fut certes pas la plus meurtrière, ce triste privilège revenant à la révolte des Taiping en Chine, qui se déroula par ailleurs à la même époque (1850-1864). Toutefois, alors que la majorité des victimes de cette dernière furent civiles, la plupart des morts de la guerre de Sécession furent des militaires. Ceci n’enlève rien à l’intensité des haines ayant opposé le Nord au Sud. Cette lutte à mort entre deux nations qui n’en faisaient jusque-là qu’une seule fut d’abord une guerre idéologique, et son nom anglais –American Civil War – lui rend une dimension fratricide que la traduction française édulcore largement.

On écrit souvent que la guerre de Sécession fut livrée pour ou contre l’esclavage. C’est vrai, mais c’est là une présentation extrêmement simplifiée de ses causes réelles. Ces dernières

Les causes de la guerre de Sécession

Ainsi ratifiée, la constitution des États-Unis d’Amérique fut promulguée en septembre 1788. Durant l’automne et l’hiver suivants, les États élurent le nouveau Congrès, ainsi que le collège de grands électeurs chargé de désigner le futur chef de l’État. Le 4 mars 1789, le Congrès tint à Philadelphie sa session inaugurale. La personnalité de George Washington, qui n’appartenait officiellement à aucun parti (tout en inclinant personnellement vers le fédéralisme), transcenda les divergences entre fédéralistes et anti-fédéralistes, au moins en ce qui concernait le choix du président. Élu à l’unanimité des grands électeurs le 6 avril, Washington prêta serment et devint le premier président des États-Unis le 30 avril 1789. L’ère fédéraliste

Le cabinet qu’il constitue donne la part belle aux fédéralistes, avec notamment John Adams à la vice-présidence et Hamilton secrétaire au Trésor. Néanmoins, une concession est faite à leurs opposants avec la nomination de Thomas Jefferson comme secrétaire d’État, autrement dit ministre des Affaires étrangères. Jusque-là ambassadeur en France, dont il venait de rentrer, ce propriétaire d’esclaves issu d’une des familles les plus en vue de Virginie avait été le principal rédacteur de la déclaration d’indépendance en 1776. Il devint rapidement pour les anti-fédéralistes un chef de file emblématique.

Sous l’impulsion de Hamilton, défenseur d’un programme radical, le jeune gouvernement soumit au Congrès une série de lois accordant à l’État fédéral des pouvoirs étendus. Cette radicalisation inattendue suscita l’inquiétude non seulement des opposants du gouvernement, mais aussi des fédéralistes les plus modérés – parmi lesquels James Madison en personne. Ce dernier, craignant l’établissement d’un régime confinant à la monarchie, se retourna contre son ancien allié Hamilton. Il proposa aussitôt une série d’amendements à la toute jeune constitution, limitant les pouvoirs – notamment judiciaires – du gouvernement fédéral et garantissant les libertés individuelles. Hamilton s’y opposa en vain, et la « Déclaration des droits » (Bill of Rights), constituée de dix amendements, fut ratifiée le 15 décembre 1791.

L’ère fédéraliste

Alexander Hamilton n’en continua pas moins à tenter de faire appliquer son programme, en butte à l’opposition de Jefferson. Les deux hommes défendaient en fait deux visions très différentes de la forme que devait revêtir le développement de leur pays. Hamilton se faisait le champion d’un système « à l’anglaise ». Pour lui, les États-Unis, dont l’économie repose essentiellement sur l’exportation de sa production agricole, doivent favoriser l’émergence d’une industrie nationale forte. Cette dernière produira localement les biens manufacturés qui devaient jusque-là être importés d’Europe, libérant ainsi l’Amérique de la sujétion économique dans laquelle elle se trouve. Économiquement autonome, elle sera alors libre de mener sa politique étrangère à sa guise.

Pour cela, il faut des capitaux que les États de l’Union, toujours endettés à des degrés divers par les dépenses de la guerre d’Indépendance, n’ont pas. Hamilton propose pour y remédier un système financier élaboré, doté d’une banque centrale, et dans lequel le gouvernement fédéral « consolide » – c’est-à-dire regroupe – les dettes des États et en assume la charge. Naturellement, le remboursement de la dette, désormais nationale, implique la perception de revenus réguliers de la part du gouvernement fédéral, principalement sous la forme de droits de douanes perçus sur les marchandises importées d’Europe. Le corollaire de cette politique est évidemment un État fédéral fort, puisque seul un gouvernement aux pouvoirs étendus aurait la capacité de faire appliquer une telle politique

L’opposition au fédéralisme

Pour Madison, et plus encore pour Jefferson, de telles mesures s’avèrent inutiles. L’exportation des produits agricoles, et en particulier de ceux à forte valeur ajoutée, aux premiers rangs desquels viennent le coton et le tabac produits dans le Sud, est suffisante pour assurer le développement économique du pays. Les revenus ainsi engendrés permettront une industrialisation modérée, faite de petites manufactures, qui suffiront à couvrir les besoins immédiats. Dans le pire des cas, les États-Unis pourront se passer du reste – les produits de luxe importés à grands frais. Les exportations pourront même servir d’arme géopolitique, car Jefferson estime qu’elles tiennent également l’Angleterre, qui en a besoin pour alimenter son industrie en pleine expansion, dans une situation de dépendance vis-à-vis des États-Unis.

Jefferson estime par ailleurs que le modèle de développement défendu par Hamilton est non seulement inutile, mais également dangereux. Il en veut pour preuve la situation en Grande-Bretagne, où un pouvoir central fort a favorisé la concentration des terres au détriment de la paysannerie, et où l’industrialisation a entraîné l’émergence d’un prolétariat ouvrier miséreux. Cette situation est pour Jefferson une menace pour la démocratie. Le secrétaire d’État défend en effet une république basée sur l’égalité entre les citoyens : idéalement, tout Américain devrait avoir son lopin de terre, assurant ainsi sa subsistance et partant de là, son indépendance. En privilégiant les industriels, les négociants et les spéculateurs par rapport aux couches populaires, les fédéralistes remettraient en cause ce modèle, ce qui ouvrirait la voie au despotisme. Puisqu’ils se revendiquaient de la démocratie et de la république, les partisans de Jefferson finirent d’ailleurs par se rebaptiser « démocrates-républicains » en 1792.

Il est assez amusant de constater qu’en fait, Jefferson et Hamilton défendaient deux visions opposées de la république, qui n’étaient pas sans rappeler des antagonismes remontant à aussi loin que la République romaine : celle de Hamilton était élitiste et « patricienne », tandis que celle de Jefferson était davantage agrarienne et « plébéienne ». Toutefois, l’opposition entre les deux hommes n’est pas uniquement d’ordre idéologique. Représentant de l’aristocratie terrienne virginienne, Jefferson a bien plus à perdre qu’à gagner dans les réformes voulues par Hamilton. D’une part parce que les États du Sud sont, de manière générale, moins endettés que ceux du Nord, et ne sont donc guère disposés à en partager les dettes. D’autre part, l’instauration d’une fiscalité douanière entraînerait, par mesure de rétorsion, le relèvement par les pays européens des taxes frappant les exportations américaines – dont on a vu que le coton et le tabac sudistes constituaient le fer de lance.

Plus généralement, cette opposition au sujet de la politique de développement économique met déjà en exergue la différence profonde qui existe entre le Nord et le Sud. Cette dichotomie semble puiser ses racines dans une différence de peuplement. Les colons qui se sont installés dans le Sud y ont, en grande partie, reproduit le modèle rural anglais : une paysannerie pauvre qui dépend pour sa survie d’une aristocratie terrienne dont elle forme également la clientèle politique – la différence étant qu’en Amérique, la noblesse anglaise est remplacée par les planteurs. À l’inverse, les premiers colons du Nord furent souvent issus de groupes religieux puritains désireux d’échapper à l’influence de l’église anglicane. La culture qui en naquit, bien différente de celle du Sud, valorisait l’ascension sociale par le travail et l’enrichissement personnel, favorisant ainsi l’esprit d’entreprise et les comportements capitalistes – comme n’allait pas manquer de le remarquer bien plus tard le sociologue allemand Max Weber, dans son célèbre ouvrage de 1905 L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme.

Antagonismes et compromis

Aussitôt que Hamilton proposa la consolidation de la dette, Madison s’y opposa fermement, regroupant notamment derrière lui les États du Sud. Ceux-ci cédèrent finalement à un compromis, laissant à Hamilton les mains libres en échange d’une concession essentiellement symbolique : le transfert, dans les dix ans, de la capitale fédérale de Philadelphie vers un État du Sud. À cette fin, le site choisi, sur les rives du Potomac et à cheval sur le Maryland et la Virginie, fut érigé en un « district de Columbia » administré directement par le gouvernement fédéral. La ville qui y sera érigée, sur les plans de l’architecte franco-américain Pierre L’Enfant, deviendra effectivement capitale fédérale en 1800. On lui donnera le nom du premier président, mort un an auparavant :Washington.

Se cantonnant à un rôle d’arbitre, George Washington laissa les coudées franches à Hamilton, devenu de facto l’homme fort du gouvernement. En 1791, malgré l’opposition véhémente de Jefferson, qui finit par quitter le secrétariat d’État fin 1793, Hamilton parvint à faire mettre en place une banque centrale. Cette « Banque des États-Unis », que les démocrates-républicains tenaient pour une machine à générer de la corruption, fut organisée selon une charte promulguée pour vingt ans. Le secrétaire au Trésor instaura également, outre des tarifs douaniers, des impôts indirects, notamment une taxe sur les spiritueux. Cette dernière finit par susciter des troubles dans les confins occidentaux du pays, car la distillation des céréales y était le seul moyen de ne pas perdre les excédents de récolte dans cette région sous-peuplée. Une révolte, surnommée « rébellion du Whisky », finit par éclater dans l’ouest de la Pennsylvanie en 1794. Hamilton y mena personnellement une répression peu sanglante, mais dont le caractère disproportionné nuisit beaucoup à sa réputation.

Le gouvernement Washington régla aussi les problèmes soulevés par les revendications territoriales des différents États. Le Congrès continental lui avait ouvert la voie en 1787, en promulguant l’ordonnance du Nord-Ouest. Celle-ci établissait que les régions situées au nord de la rivière Ohio seraient administrées directement par l’État fédéral au sein d’un « territoire du Nord-Ouest » créé pour l’occasion. Les régions au sud de l’Ohio furent quant à elles réparties entre la Virginie, la Caroline du Nord et la Géorgie. Au prix de quelques rectifications de frontières, la plupart des disputes furent réglées. Enfin, le Vermont, qui revendiquait depuis quinze ans son indépendance vis-à-vis de l’État de New York, la vit finalement reconnue en 1791 et fut admis dans l’Union cette même année, portant le nombre d’États membres à quatorze.

Le territoire du Nord-ouest ne comptait que très peu de colons blancs, mais il était occupé par de nombreuses tribus amérindiennes, liées entre elles par des alliances, et parfois aidées discrètement par des agents britanniques venus du Canada voisin. Les fréquents accrochages avec les colons américains finirent par déboucher sur une guerre ouverte en 1790. Celle-ci montra rapidement les limites du système militaire états-unien. Le 4 novembre 1791, l’armée du général Arthur St.Clair fut écrasée au cours de la bataille de la Wabash. Au cours de la pire défaite que les Amérindiens lui infligèrent, l’armée des États-Unis eut 632 tués sur 920 hommes engagés, et la plupart des survivants étaient blessés – sans parler des quelques 200 civils accompagnant l’armée, presque tous tués eux aussi.

Ce désastre prouva que la minuscule armée de métier créée en 1784 (un unique régiment mixte) était insuffisante pour encadrer la milice des États, qui s’était avérée peu fiable au combat. Cette concession faite aux anti-fédéralistes, qui redoutaient qu’une armée permanente ne se transforme en garde prétorienne et favorise le césarisme, fut battue en brèche par les fédéralistes, qui purent ainsi imposer leur vision d’une armée plus forte. Le secrétaire à la Guerre Henry Knox réorganisa donc l’armée en 1792, remplaçant le régiment unique par une « légion des États-Unis » comprenant en fait quatre « sous-légions » de taille régimentaire et combinant infanterie, artillerie et cavalerie. Cette réorganisation porta ses fruits en 1794 avec la victoire de Fallen Timbers, forçant les Indiens à conclure la paix l’année suivante.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article